"Histoire de la librairie française"- P. Sorel et F. Leblanc.

Publié le par Les Professionnels du Livre de Bécherel

La librairie est avant tout un commerce, et ses animateurs des travailleurs indépendants, jaloux de leur autonomie. S'il fallait résumer deux siècles d'histoire de la librairie française, tel serait le trait caractéristique de cette profession : le goût de l'indépendance.

Or celle-ci semble aujourd'hui compromise. En 1980, dix-huit mois avant l'adoption de la loi Lang sur le prix unique du livre, le quotidien Libération croyait pouvoir affirmer : "La petite librairie sent le cadavre." Presque trente ans plus tard, précisément grâce à cette loi, force est de constater qu'elle vit encore. Mais pour combien de temps ?

Alors que le marché du livre est à l'aube d'une de ses plus importantes mutations : la transformation des livres en fichiers numériques, Pascal Fouché, directeur éditorial de cette monumentale Histoire de la librairie française, explique que ces mutations technologiques pourraient bien renvoyer les libraires à la case départ : "On peut se demander si la librairie ne pourrait pas se dématérialiser comme les livres. Le terme d'édition pourrait alors englober la librairie, revenant à la situation d'Ancien Régime, mais avec cette fois la primauté de l'éditeur." Avant la Révolution française, en effet, les métiers de libraire, d'éditeur et d'imprimeur étaient confondus.

Napoléon a joué un rôle majeur dans la naissance de la librairie moderne. Par le décret du 5 février 1810 "contenant règlement sur l'imprimerie et la librairie", il crée un brevet qui fixe les codes du métier jusqu'en 1870. Les libraires, ces "marchands de livres", sont clairement distingués des imprimeurs, sur lesquels l'Etat pèse de tout son poids. Vingt-six des cinquante et un articles du décret de 1810 sont consacrés aux délits et aux punitions que peuvent encourir les professionnels du livre, contre cinq encadrant le métier de libraire. Le texte opère une différence nette entre l'auteur et les diffuseurs d'idées que sont les libraires et les imprimeurs. C'est sur ces derniers que le pouvoir exerce le contrôle le plus vigilant. Il fixe leur nombre, alors que les libraires sont soumis à la libre concurrence.

Tout au long des XIXe et XXe siècles, pourtant, les libraires n'ont cessé de dénoncer les multiples concurrences "déloyales" dont ils s'estimaient victimes. A commencer par celle des cabinets de lecture, ces "boutiques à lire" où les clients consultent les livres sans les acheter. Mais aussi celle des colporteurs, des bouquinistes ou encore de la vente directe par les éditeurs. De même, le chemin de fer est stigmatisé : il permet au lecteur de province de s'approvisionner à Paris. Idem avec le sport, qui détourne de la lecture...

Après 1945, ce discours se focalise sur de nouveaux dangers. Sont visés les clubs de livres, la vente par correspondance, les drugstores, les grandes enseignes culturelles (la Fnac de la rue de Rennes, à Paris, ouvre en 1974), les supermarchés, les journaux qui vendent des livres à leurs lecteurs, et enfin les nouveaux médias : la télévision et Internet.

Mais les libraires ne sont pas seulement des commerçants qui se lamentent devant les méfaits de la concurrence. Cette plongée dans la librairie française, qui rassemble des documents rares sur l'état de la profession en province et à l'étranger, met aussi en avant le rôle de grandes figures éprises de liberté comme Adrienne Monnier, Silvio Trentin, Alexandre Loewy ou François Maspero. Un chapitre passionnant est également consacré à la librairie militante et à son déclin.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que des éditeurs connus n'ont pas hésité à collaborer, beaucoup de libraires ont joué un rôle actif dans la Résistance. Ainsi Jeanne Wagner, qui tenait la librairie rue Bonaparte où Geneviève de Gaulle-Anthonioz a été arrêtée en 1943 avec des membres du mouvement Défense de la France, n'est pas revenue du camp de Ravensbrück.

A propos du conflit algérien, la mémoire collective a conservé le souvenir des libraires militants qui faisaient "la guerre à la guerre", mais l'étude de la période montre que d'autres libraires, plus nombreux encore, ont penché en faveur de l'Algérie française.

"Un métier qui n'a pas de mémoire ne peut pas se projeter dans l'avenir", estime Jean-Marie Ozanne. Le patron de la librairie Folies d'encre, à Montreuil, est l'un des soixante-quatorze coauteurs de cette somme jusqu'ici sans équivalent, et qui devrait permettre aux libraires d'être plus forts pour affronter les défis à venir."

Cet article du Monde ne parle pas de la présence de passages sur la librairie ancienne. Mais il semble qu'il y ait un article sur les villages du livre. Mais nous pouvons déjà répondre à Jean-Marie Ozanne que la mémoire du métier existe déjà et depuis longtemps. Les libraires d'ancien et les bouquinistes défendent l'histoire du livre et de la librairie. Ils sont les gardiens du temps. Indépendants, ils choisissent les livres qu'ils vendent un par un et les gardent amoureusement dans leur rayon pendant des années, voire des décennies afin qu'ils trouvent un acheteur. Les éditeurs le savent et nombreux sont ceux qui viennent dans nos rayons pour y dénicher un livre épuisé ou pour consulter la mémoire du bouquiniste afin de le rééditer.

Le rôle du libraire c'est bien de défendre un fonds, car un livre ne peut pas avoir la vie d'un produit jetable. Sa production coûte trop cher. La cavalerie à laquelle se livrent l'édition moderne et son système de diffusion/production est en passe de tuer l'essence même du livre et le métier de libraire.

Espérons qu'à l'occasion de cette publication les métiers de l'ancien et du neuf sauront se rejoindre pour défendre ensemble les métiers du livre.

La solution économique ne serait-elle pas une alliance des deux métiers au sein de la même librairie ?

Bruno Foligné pour la librairie Abraxas-Libris




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